Individus sous influences : une société de moutons ?
“Nous sommes dans une société de moutons”, “les gens vont dans le sens de la majorité”, “la population se laisse influencer par les médias de masse”… qui n’a jamais entendu ce genre de propos au sujet de notre société ? Pourtant, l’opinion, les comportements, attitudes, croyances, ou sentiments d’un individu sont loin d’être strictement régies par l’influence des masses. Il existe aussi l’influence minoritaire, qui au contraire du conformisme, nous influence en profondeur. En effet, nous sommes émerveillés par certaines personnes qui font avancer nos idées, nous aident au quotidien ou nous impressionnent intimement. Nous sommes prêt à suivre certains leaders que nous considérons comme étant aptes et légitimes à nous montrer une direction à suivre ou même à diriger nos vies. Nous sommes même dans certains cas, complétement sous emprise d’une personnalité, comme le sont certains humains “fans” de personnalités connus.
1 – Influence des masses
Il existe effectivement ce que l’on appelle l’influence majoritaire, que l’on appelle communément le conformisme. Ce processus est celui de l’influence des opinions, comportements, perceptions, d’une majorité sur une minorité de gens. Récemment, des psychologues de l’Université de Princeton ont étudié ce qui se passe dans notre tête lorsque nous sommes en situation sous l’influence d’une majorité. Une structure cérébrale (l’insula) semble déterminer l’abandon de l’analyse personnelle au profit de la posture conforme aux attentes du groupe. Cette insula est réputée centraliser des informations de nature émotionnelle en provenance du corps, et s’activer lorsque l’individu sent peser la menace d’être exclu de son groupe d’appartenance.
Le paradoxe de Condorcet.
Nicolas de Condorcet, philosophe et mathématicien, avait déjà montré au XVIIIe siècle que le système électoral livre des décisions sensées, à condition que les électeurs soient ignorants des décisions prises par leurs voisins (paradoxe de Condorcet). Autrement dit, il faut savoir se protéger du « biais de conformité ».
L’expérience la plus célèbre est celle de S. Asch (en 1951) ; elle démontre que même lorsqu’il y a une réponse évidente à donner, un individu va donner une réponse fausse et absurde juste parce que la majorité des gens qui constituent son groupe a fourni cette réponse là.
Cette expérience des lignes de Asch est célèbre et est souvent instrumentalisée pour démontrer que les individus sont des moutons qui se rallient à une idée dominante, majoritaire. Or, ce n’est pas tout à fait vrai, l’influence majoritaire est superficielle car elle agit sur les comportements et non sur les pensées des individus. Agir n’est pas penser. Dire que l’on pense pareil que son groupe ne signifie pas qu’on pense effectivement comme eux. En effet, dans les expériences de Asch, on voit que les personnes se focalisent sur les enjeux sociaux de la situation (que va-t-il se passer si je réponds différemment d’eux ? quelle sera ma place ?), au lieu de traiter la véracité des réponses données par le groupe.

2 – Influence des minorités

Selon Moscovici, la minorité agissante se définit par 5 styles de comportements et c’est l’interprétation de ces styles de comportement de la minorité par la majorité qui permet à l’influence d’opérer.
Les 5 styles sont :
Investissement et visibilité : c’est l’importance que le sujet ou la minorité accorde à son objectif ou à ses idées. La visibilité de l’implication est importante ainsi que la sincérité du sacrifice personnel et de la haute estime des buts poursuivis.
Autonomie : c’est l’indépendance du jugement et des attitudes et cela reflète la détermination selon ses propres principes.
Consistance : c’est le fait de maintenir toujours la même idée, être catégorique, avoir et maintenir une position cohérente.
Rigidité : C’est la version “dure” de la consistance. Il faut adopter un modèle comportemental assuré pouvant parfois aller jusqu’à l’extrémisme. Moscovici explique qu’un comportement qui se situerait à mi-chemin entre la rigidité et la souplesse serait le meilleur moyen pour influencer quelqu’un.
Équité : elle rend compte du souci de la minorité d’établir des relations réciproques avec la majorité.
3 – Comparaison : Influence de la majorité VS. Influence de la minorité.
Lorsqu’un individu se sait l’objet d’une influence, il éprouve un sentiment d’ambivalence, c’est à dire, qu’il peut ressentir deux sentiments pourtant opposés ou contradictoires. Cependant selon que la source d’influence émane d’une minorité ou d’une majorité, cette ambivalence n’est pas la même :
- Face à une majorité, les individus expriment plutôt une attirance publique et une réserve ou une hostilité privée.
- Face à une minorité, les individus peuvent éprouver dans le même temps une hostilité publique, une admiration, voir même une envie privée.
En fait, c’est en se défendant sur le plan conscient d’une influence qu’on augmente les chances d’être influencé sur le plan non conscient. Il s’agit donc d’un réel paradoxe puisque plus on résiste à un agent d’influence, plus on a de risque de lui céder sur le long terme.
L’influence latente et différée est propre à l’influence minoritaire. Car le traitement de l’information des minortiés inovantes (dans le sens où elles changent de l’opinion majoritaire) suppose, qu’il faut invalider certaines idées, s’ouvrir à de nouveaux messages et faire preuve de compréhension. C’est pour cette raison que l’influence des minorités est plus ancrée en profondeur et s’installe dans vos idées, dans votre manière de voir le monde. Contrairement à l’influence des masses qui impacte votre comportement mais n’a pas d’influence sur vos idées, il s’agit d’un suivisme qui n’engendre pas de changement notable sur votre manière de voir le monde.
Documentaire sur le conformisme social:
4 – En conclusion, les minorités ont une influence plus profonde sur les individus mais…
… la majorité peut également les influencer sur le plan des attitudes et convictions.
Et oui, comme rien n’est simple dans notre machine cognitive humaine, les influences sont multiples ! Hélas nous restons sujets à la “moutonnerie” et être ainsi profondément influencés par la majorité, à savoir les opinions dominantes…
Mais comment sommes-nous influencés par cette majorité ? par nos propres actes !
Car l’acte de se conformer publiquement et de manière répétée est un facteur d’engagement. Or plus on est engagés et plus on adhère à l’idée dominante : c’est ce qu’on appelle la théorie de la rationalisation, qui consiste à rationaliser ses actes pour expliquer ses conduites d’une part, mais surtout pour éviter l’état de conflit interne entre ce que vous pensez et votre comportement devant les autres (dissonance cognitive). Cette rationalisation se manifeste par le fait que les attitudes deviennent une conséquence du comportement et non l’inverse.
Ainsi, lorsqu’on se conforme publiquement (par exemple au travail, acquiescer devant les autres collègues lorsque votre patron exprime son opinion qui pourtant est bien différente de la votre, est un acte qui vous engage). Vous modifiez votre façon de penser en faveur de l’idée dominante afin d’auto-justifier votre comportement. De même, le fait de répéter cet acte de conformisme est également un facteur qui vous engage en faveur de celui-ci.
Pour en savoir plus sur les facteurs d’engagement, nous vous invitons à lire le psychosociologue C. Kiesler. Ces techniques d’engagement (dîtes de manipulation) sont notamment utilisées par les managers de grands groupes industriels et dans le commerce.
En conclusion, nous sommes tous des sujets sous influences, mais contrairement à l’idée répandue ce n’est pas l’influence de la majorité (médias de masse, opinions répandues, etc.) qui est la plus prégnante sur nos opinions mais l’influence des minorités (petits groupes, personnes, dissidents).
Ceci-dit, si on ne veut pas être influencés par la majorité – être un mouton quoi -, il faut se défendre des actes que nous poussent à faire cette majorité (exemple d’acte généré par une majorité : une grande partie de la population pense qu’il faut voter aux élections pour favoriser la démocratie en France). Le suivisme dans les actes est à proscrire pour ne pas “s’engager”, changer d’opinion, en d’autres termes se faire manipuler par la majorité dominante.
Le libre arbitre est un mythe mais commencer par s’empêcher d’agir dans un sens contraire à nos convictions est un bon début !
C.B & Stéphane Hairy
– Mucchielli, R. (1988). Les Complexes personnels: connaissance du problème, applications pratiques· 5e éd / Paris : ESF éd 1994.
– Doise, W., Deschamps, J. C. et Mugny, G. (1978). Psychologie sociale expérimentale, Paris: Armand Colin éd 1991.
– Vaidis, D. (2011). La dissonance cognitive : Approches classiques et développements contemporains. Paris: Dunod
http://4emesinge.com/sommes-nous-des-moutons-face-a-une-majorite-experience-de-lascenseur-1962/
http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actu-dans-chaque-homme-un-moutona-31022.php
Moscovici, S., Lage, E., & Naffrechoux, M. (1969). Influence of a Consistent Minority on the Responses of a Majority in a Color Perception Task. Sociometry, 32(4), 365.
Source : http://4emesinge.com